Mon ami!
"Il y a des choses qui ne se laissent pas expliquer avec des mots… Du temps qui passe, des mois, des semaines qui s’envolent, des expériences qui se gravent dans le cœur,… Otage de ma vie, de ma conception de vie!"
Mon ami
Il y a des choses qui ne se laissent pas expliquer avec des mots… Du temps qui passe, des mois, des semaines qui s’envolent, des expériences qui se gravent dans le cœur,… Otage de ma vie, de ma conception de vie!
Et il n’y a pas d’excuses, pas pour hier, pas pour avant-hier, pas pour tous ces moments passés depuis notre rencontre. Et peut-être il n’existe même pas une vraie explication pour mon silence…
Tout ce que je peux t’offrir maintenant, c’est ce petit message- si tu lui donnes la chance de te témoigner du fait que je ne t’oublie pas…
Et je sais que tu attends depuis longtemps ces quelques mots, mais voilà le problème. Tu attends, moi je vis, je cours, je m’enfuis…
Je m’enfuis mais sans succès.
Il suffit d’ouvrir le journal et tu es de retour. C’est presque comme si tu étais Johny Deep ou un autre de ces grandes étoiles qui font toujours la une.
Je me suis toujours demandée d’où surgit le besoin chez les gens de s’identifier avec leurs célébrités préférés et d’en faire des personnages omniprésents de leur vie. Aujourd’hui il serait peut-être temps à me demander pourquoi toi, tu restes si présent ?
L’ironie c’est que je ne te retrouve jamais dans les visages souriants, dans les reportages des beaux et des riches de ce monde. Non, tu te reflètes dans des attentats, des maisons détruites et des visages souffrants. Chaque article que je lis au sujet du Liban, c’est un article sur toi.
Non, ne t’imagine pas qu’à la fin de chaque lecture je me retrouve bouleversée. Non, non, ce n’est pas le cas ; je t’identifie tout simplement.
Tout ce que tu veux, ce sont des nouvelles. Rien de plus simple dans toutes mes autres amitiés, rien de plus difficile avec toi. Quoi te dire ?
Et surtout comment te le dire pour que tu me prennes au sérieux ?
J’essayerai à te raconter de ma vie, à accomplir ma tache de copine mais ne sois pas déçu ou fâché si je n’y arrive pas, si je commence à questionner, si je mens, si je prends des déroutes, si mes tentatives échouent et si je t’emmène avec moi dans la confusion.
Il faut que tu comprennes, enfin, peut-être…s’il te plaît… au nom de notre amitié.
Ma vie d’aujourd’hui, elle se présente comme une vie d’étudiante dans une petite ville anglaise près de la mer, elle se présente comme une vie pleine de danse, de sorties, de soirées de folie, de nouvelles connaissances et d’amitiés. Elle se présente comme un univers qui se réjouit encore de la magie des choses nouvelles et qui offre encore et encore des choses à découvrir,…
Mes ennuis ? Tu dois être impatient à les connaître… Deux, trois kilos de trop depuis Noël, une dissertation à rendre dans deux jours et le défi de la semaine c’est comment survivre samedi et dimanche car ces jours s’annoncent avec cinq fêtes d’anniversaires, trois invitations pour aller prendre un café et deux rendez-vous avec les connaissances de la semaine passée…
Bien sûr que ma vie n’est pas tellement rose, bien sûr que je banalise. Je ridiculise et je le fais peut-être que pour toi car je ne peux pas m’imaginer ta vie. J’ai mauvaise conscience, j’ai peur. Je sais que tu t’es levé ce matin en priant que la vie ne te fasse pas perdre encore un autre membre de ta famille. J’ai tout lu ce que j’ai pu trouver sur ton pays, sa situation politique, sa culture, ses traditions. J’ai essayé mais mes efforts étaient en vain. Mon imagination est restreinte et emprisonnée dans ma perspective de jeune européenne. La paix pour moi c’est comme le ciel. Je m’endors chaque soir avec une confiance absolue qu’il y sera encore le lendemain quand je me réveille.
Tu comprends maintenant pourquoi j’arrive si difficilement à te parler de moi… Je me sens coupable. J’ai honte. Comme citoyenne de cette terre je me sens responsable de ta souffrance, du fait qu’on te vole ta jeunesse, ton avenir. Culpabilité et responsabilité : deux vastes notions qui règnent sur notre amitié.
Elles m’effrayent et faible comme je suis, je fuis de toi.
Oui, mon ami, j’essaye en vain de comprendre pourquoi moi je suis ici et toi là-bas… Pourquoi sors-je le matin de ma petite maison en ayant cette foi absolue dans la vie ? Pourquoi sors-tu le matin de ta petite maison en étant conscient que chaque pas, chaque arrêt de bus, peut être synonyme de mort ? Pourquoi ai-je le privilège de m’énerver de l’augmentation du repas végétarien dans la cantine sans que rien de plus sérieux, de plus grave ne doive croiser mes pensées ? Pourquoi ne puisses-tu pas te réjouir du même privilège ?
Pendant notre première rencontre, je percevais un jeune homme plein d’optimisme et d’énergie dans la construction de son propre avenir et de celui de son pays. Démocratie et paix étaient les deux notions qui t’inspiraient, qui semblaient te guider, qui faisaient briller tes yeux lors de notre réunion.
Pendant notre deuxième entrevue, je retrouvais un jeune homme brisé et amer : Ce jour-là on nous avait appelé tôt pour prendre le petit déjeuner. La nuit avait été courte et tous les participants se retrouvaient fatigués dans la réception. La télévision y était allumée, mais on l’ignorait avec volonté. On ignorait les nouvelles comme si elles parlaient d’une planète différente qui ne nous concernait pas. C’était le réceptionniste qui brisait cette fausse idylle en nous parlant de nouveaux attentats au Liban. Tu retournais sur-le-champ vers la télévision et tu y restais immobile pendant tes longues minutes. Tu pleurais.
L’homme audacieux et courageux que j’avais connu disparaissait devant mes yeux, Les circonstances avaient fait du citoyen libanais orgueilleux un pauvre réfugié.
J’étais à côté de toi, paralysée. Tu éclatais en larmes ; mon ignorance sur ton pays et sa situation politique éclatait également.
Je ne comprenais pas la portée de ce moment, aujourd’hui je la comprends. Cet instant d’intimité partagée nous a lié pour toujours. Je t’ai pris dans mes bras quand ton avenir s’effondrait, toi tu m’as pris mon ignorance quand mon adolescence se terminait.
Si aujourd’hui on était assis l’un face a l’autre comme on l’était pendant notre dernière soirée dans ce petit restaurant italien, tu m’apaiserai sans doute avec tes paroles douces. Or, tu n’es plus à côté de moi, tu es retourné dans cette vie quotidienne que je m’imagine comme un enfer, dans ce pays dont on t’enlève toute ta puissance, tout ton courage.
Chaque fois quand je te parlais de la responsabilité que je ressentais depuis notre encontre, chaque fois quand je t’expliquais ce poids lourd qui pèse sur moi quand je comparais nos réalités de vie, nos chances de réaliser nos rêves, tu souriais. C’était un sourire gentil, honnête mais malgré toute ta bonne volonté il n’a jamais réussi à enlever ma honte, à me faire sentir mieux.
« Ce n’est pas juste ». Voila la phrase que j’utilisais au moins mille fois pendant cette soirée. Je ne voulais pas comprendre, je ne voulais pas laisser derrière moi mes idéaux, je ne voulais pas confronter la réalité… et peut-être même si j’avais voulu adopter tes points de vues, je n’aurais pas réussi car je ne connais pas le monde dont tu me parlais et dans lequel le mot de justice est un mot vide de sens. Aujourd’hui je suis étudiante en droit. Il ne s’agit évidemment pas d’une coïncidence. M’as-tu jugé naïve ? Me juges-tu naïve ?
Il faut que je commence à comprendre les raisons de ces différentes circonstances de vie. Si je n’y arrive pas il faut au moins que je trouve des raisons qui me paraissent acceptables. Il le faut pour qu’un jour je puisse arrêter de nier ma propre vie quand je te parle. Ma vie, c’est moi. Sans elle je deviens transparente, inexistante. Comment veux-tu être ami avec quelqu’un qui arrête d’exister dès que tu lui adresses la parole ?
Comment veux-tu être ami avec quelqu’un qui t’accuse? Qui t’accuse de lui avoir ouvert les yeux, de l’avoir dévoilée, de l’avoir poussée sur un chemin qu’elle n’avait pas prévu. Tu m’as tendu ta main et aveugle comme j’étais, je te suivais sans penser aux conséquences.
Aujourd’hui je me sens nue après ce striptease intérieure. Nue parce que j’ai dû enlever mes anciennes définitions et principes. J’ai essayé mille fois de les remettre mais c’est devenu impossible. Ils me brûlent la peau :
Mon pays et sa richesse provoquent un sentiment de culpabilité. Les citoyens, leurs attitudes et leur vie dans l’abandon me dégoûtent. Je ne peux plus m’identifier avec eux bien que je sache que je profite encore des avantages d’un mode de vie luxurieux. Je me promène e à travers les rues qui me chuchotent des histoires de mon passé. Les lieux que je fréquentais sans devenu désertes, ont perdu leur inspiration.
Mes parents n’arrivent plus à m’attraper tellement j’ai commencé de suivre mon propre chemin et de tester mes limites. Bien que j’aie leurs yeux, leur couleur de cheveux, leur taille, bien que je parle leur langue et je connaisse la définition de leurs mots, ils ne peuvent pas suivre mon rythme. Je suis leur produit, leur portrait mais j’ai sorti mes propres couleurs pour finir le tableau de ma vie.
Avec ma sœur et mes amis luxembourgeois, on utilise aujourd’hui un vocabulaire différent. Des situations, des expressions font surgir des associations si différentes que la communication est devenue parfois très difficile. Le sens qu’on accorde aux mots n’est tout simplement plus le même.
Ceux qui sont à la recherche comme moi comprennent mon nouveau champ lexical. On s’entend, surtout avec ceux qui errent également, avec ceux qui sont perdus entre leur passé, leur présent, leur avenir, leur patrie, leur culture, entre obligations et libertés.
Est-ce que tu te rends compte de tout ce désordre dans mes pensées, dans ma vie? Est-ce que tu es conscient de l’inspiration, de la volonté, de l’idéalisme qui me pousse chaque jour à chercher des nouveaux défis et à tester mes limites pour qu’un jour je puisse dire que j’ai assumé la responsabilité d’avoir été née dans un pays riche, dans une famille adorable, dans un entourage agréable ? Est-ce que tu vois comment mon sentiment de culpabilité me pousse, me torture et m’écrase parfois ?
En combattant cette bataille, j’ai perdu mon identité. Qui suis-je ?
Tu m’as donné le billet pour initier ce voyage, tu attends mes nouvelles… mais je ne peux pas promettre ce que tu retrouveras, où tu me retrouveras, quand tu me retrouveras et dans quel état.
Mais peut-être… à l’arrivée, ça ne jouera même aucun rôle.
Je t’aime, mon ami…malgré tout…grâce à tout.